A LA UNEMONDE

Le régime qui a tué un quart de million d’Algériens continue de les gouverner : la décennie noire n’est pas terminée

Par Imane Alaoui/ ALDAR

Plus de vingt ans après la fin de la « décennie noire », cette période sanglante qui a coûté la vie à plus de 250 000 Algériens, le spectre de cette tragédie continue de planer sur le pays. Politiquement, socialement et sécuritairement, l’Algérie demeure prisonnière d’un système né du feu et du sang des années 1990 — un régime dont l’essence n’a jamais réellement changé, malgré les visages et les discours renouvelés.

Aujourd’hui, beaucoup d’Algériens, qu’ils vivent au pays ou à l’étranger, se posent la même question : le pouvoir militaire, qui dirige l’Algérie d’une main de fer depuis l’indépendance, a-t-il réellement disparu ? Ou assiste-t-on simplement à une reproduction habile du même système autoritaire sous un vernis de modernité ?

Tout a commencé avec le coup d’État de 1992, lorsque l’armée a interrompu le processus électoral après la victoire du Front islamique du salut. Ce putsch a plongé le pays dans un tunnel de violence extrême, opposant forces de sécurité et groupes armés. Au nom de la « lutte contre le terrorisme », le régime a imposé une répression sans précédent, muselant toute opposition au nom de la stabilité nationale. Mais derrière ce discours sécuritaire se cachait un pays fracturé, privé de justice et de vérité.

Plus de deux décennies plus tard, les acteurs de ce système demeurent aux commandes, sous des apparences plus policées. Le président Abdelmadjid Tebboune, issu du sérail, est perçu par une large partie de l’opinion comme le produit d’élections orchestrées par l’armée. Sous son mandat, la répression des libertés s’est accentuée : arrestations de journalistes, de militants, dissolution d’associations, contrôle étroit des médias. Le « Hirak » de 2019, porteur d’un immense espoir démocratique, s’est heurté à la même logique d’étouffement. Ses slogans ont été récupérés, vidés de leur substance, et utilisés pour redorer le blason d’un pouvoir immuable.

Sur le plan économique, la situation reste paradoxale. Malgré d’importantes ressources en pétrole et en gaz, le pays s’enlise dans la pauvreté, le chômage et la dépendance. Les revenus des hydrocarbures servent moins à bâtir l’avenir qu’à entretenir les réseaux clientélistes et l’appareil propagandiste du régime, destiné à maintenir la peur et la résignation au sein de la population.

Dans sa politique étrangère, le pouvoir militaire a choisi la fuite en avant : alimenter un climat de tension permanente avec ses voisins, notamment le Maroc, pour détourner l’attention des problèmes internes. Mais cette stratégie s’essouffle. Une jeunesse connectée, informée et de plus en plus critique refuse désormais les discours belliqueux et réclame un vrai changement.

C’est dans ce contexte qu’est apparu le mouvement « Génération Z 213 », une nouvelle force issue du monde numérique. Ces jeunes, nés après la décennie noire, ne connaissent pas la peur de leurs parents mais subissent une autre forme d’oppression : le désespoir, le chômage, l’absence de perspectives. Ils rejettent la rhétorique du pouvoir et exigent la fin du régime militaire. Leur arme n’est plus la violence, mais la conscience collective et les réseaux sociaux.

Leur mobilisation, bien que limitée géographiquement, revêt une portée symbolique forte : un refus de se laisser gouverner par la mentalité des années 1990. Ce nouveau souffle inquiète un pouvoir vieillissant, incapable de contrôler un espace numérique où se diffuse une autre idée de la liberté, celle d’un monde sans frontières ni censure.

L’Algérie se trouve ainsi à la croisée des chemins. Soit elle affronte enfin son passé et amorce une véritable transition vers un État civil et démocratique, soit elle reste prisonnière d’un système militaire figé qui a déjà coûté trop de vies.

Les Algériens en ont assez d’attendre l’avènement de la « nouvelle Algérie » promise. Tant que les mêmes hommes et les mêmes réflexes demeureront, le pays restera bloqué dans un éternel recommencement. Mais peut-être que « Génération Z 213 » sera l’étincelle d’un changement historique — non pas par les armes, comme dans les années noires, mais par la voix d’un peuple qui dit enfin : assez — nous voulons une Algérie gouvernée par ses citoyens, et non par ses casernes.

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