A LA UNEMONDE

Pourquoi certains Tunisiens ignorent-ils leur propre crise pour se focaliser sur le Maroc ?

ALDAR/ Iman Alaoui

Alors qu’une partie de l’opinion publique tunisienne s’attarde sur ce qui se passe au Maroc, un dossier interne d’une extrême sensibilité refait surface, révélant l’ampleur des contradictions que vit la Tunisie sous la présidence de Kaïs Saïed. La condamnation à mort du jeune militant Saber Chouchane, pour de simples publications critiques sur Facebook, a provoqué un véritable choc et soulevé de sérieuses interrogations sur l’état des libertés et des droits humains dans un pays qui, il y a à peine une décennie, se voulait le modèle du « printemps arabe ».

Ce verdict n’est pas passé inaperçu. Il a immédiatement déclenché un vif débat au sein des milieux politiques et des organisations de défense des droits humains en Tunisie, tout en ravivant les inquiétudes quant à l’avenir de la liberté d’expression dans ce pays autrefois présenté comme l’exception démocratique de la région. Des ONG internationales, telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch, avaient déjà alerté à maintes reprises sur les graves reculs enregistrés en Tunisie ces dernières années, où la justice semble être instrumentalisée pour régler des comptes politiques ou réduire au silence les voix dissidentes.

Ce qui frappe, c’est que certains discours tunisiens promptement mobilisés pour critiquer les réalités politiques et sociales marocaines ferment les yeux, avec une étonnante désinvolture, sur ce qui se passe à l’intérieur de leurs propres frontières. Au lieu de se concentrer sur les véritables priorités touchant directement la vie et les libertés du citoyen tunisien, ces voix exportent le débat vers l’extérieur, détournant l’attention d’une crise nationale profonde : effondrement économique, rétrécissement de l’espace des libertés et tension sociale croissante.

L’affaire Saber Chouchane n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large qui englobe l’arrestation de journalistes, la poursuite de militants et un rétrécissement constant de l’espace accordé à la société civile. Ces pratiques placent la Tunisie en contradiction frontale avec ses engagements internationaux en matière de droits humains et exposent le pays à des critiques de plus en plus vives de la part de ses partenaires européens et internationaux.

La véritable mesure de la démocratie ne se jauge pas aux slogans brandis ni aux leçons de liberté données aux autres, mais bien à la capacité d’un État à protéger le droit de ses propres citoyens à s’exprimer et à diverger sans craindre l’échafaud ou l’obscurité d’une cellule. Le dossier tunisien place ainsi le régime devant une question existentielle : persistera-t-il dans la voie de la répression et du verrouillage ou choisira-t-il de renouer avec la trajectoire de réformes politiques et de garanties des droits qui avait nourri l’espoir en 2011 ?

Car aucun pays ne peut prétendre donner des leçons de liberté lorsqu’il échoue à les garantir à son propre peuple. Les Tunisiens gagneraient à se préoccuper de l’avenir de leur jeunesse et de la sauvegarde de leur voix libre, plutôt que de s’engager dans des campagnes stériles visant le Maroc ou d’autres pays. La véritable bataille à mener est celle qui rendra à la Tunisie son visage lumineux de terre de liberté et de dignité, et non celui d’un État qui prononce des condamnations à mort à une époque où la démocratie est censée être un choix irréversible.

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