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Accord militaire Algérie-Tunisie : un pas discret vers l’érosion de la souveraineté tunisienne

Accord militaire Algérie-Tunisie : un pas discret vers l’érosion de la souveraineté tunisienne

 

ALDAR / Iman Alaoui

Loin du langage rassurant des communiqués officiels et des discours de « coopération fraternelle » auxquels les régimes maghrébins aiment se réfugier, le récent accord militaire entre l’Algérie et la Tunisie soulève des questions cruciales qu’il est impossible d’ignorer, surtout lorsqu’un accord de cette envergure est signé dans un silence quasi total, sans débat public, sans mandat populaire et sans véritable contrôle institutionnel.

Cet événement ne peut être dissocié de la nature des deux régimes au pouvoir. En Algérie, un régime militaire fermé considère son voisinage régional comme une extension naturelle de son domaine de sécurité et aborde la souveraineté nationale selon une logique de force et d’influence, plutôt que d’équilibre et de respect mutuel. En Tunisie, le pouvoir politique a vidé les institutions de leur rôle et prend désormais des décisions cruciales au sein d’un cercle restreint, dans un contexte de parlement faible et d’absence de participation citoyenne.

Le problème ne réside pas seulement dans le principe de coopération militaire, qui est courant entre États, mais dans le contenu de cet accord et sa méthode de mise en œuvre. Lorsqu’un accord permet, même théoriquement, le déplacement de forces étrangères sur le territoire national ou l’accès à des infrastructures sensibles et stratégiques, cela dépasse la simple coordination sécuritaire et tend à redéfinir qui détient réellement le pouvoir dans le pays. Plus inquiétant encore, ce processus se fait sans consulter le peuple tunisien et sans rendre le texte intégral de l’accord public.

Le régime algérien, qui brandit le discours de « l’anti-colonialisme » à l’international, n’hésite pas à étendre son influence régionale par des moyens sécuritaires et militaires subtils, profitant de la fragilité de ses partenaires politiques. Quant au régime tunisien, qui s’est longtemps présenté comme un État de droit et d’institutions, il semble aujourd’hui prêt à sacrifier les principes les plus élémentaires de transparence en échange d’un soutien politique et sécuritaire externe garantissant sa survie.

Il est frappant de constater que la justification de l’accord repose toujours sur l’épouvantail du terrorisme et des menaces régionales, comme si la sécurité ne pouvait être assurée qu’au prix de la réduction de la souveraineté et comme si la protection des frontières légitimait l’exclusion du citoyen de la prise de décision. Cette logique reflète la mentalité de régimes qui ne font pas confiance à leurs populations, les considérant comme un fardeau plutôt que comme un partenaire dans la détermination de leur avenir.

Le plus dangereux est que ce type d’accords établit un précédent politique dans la région : des États gérés selon le principe du « fait accompli », des frontières ouvertes ou fermées par décision présidentielle, et des concepts de souveraineté redéfinis derrière des portes closes. Dans ce contexte, parler de « fraternité » et de « destin commun » n’est qu’un vernis rhétorique pour masquer un déséquilibre évident dans les rapports de force et dans le respect de la volonté populaire.

Le cœur de la crise n’est pas tant militaire que politique et démocratique. Si la Tunisie disposait d’institutions solides et d’un débat public libre, il serait impossible de faire passer un accord de cette importance dans le silence. Si l’Algérie était un État civil soumis au contrôle démocratique, sa doctrine sécuritaire ne s’étendrait pas ainsi au-delà de ses frontières. Mais lorsque deux régimes partagent la peur de la transparence et du contrôle populaire, le résultat est des accords signés au nom de la sécurité, payés au prix de la souveraineté et de la confiance nationale.

Il ne s’agit pas d’une « invasion » au sens militaire classique, mais bien d’une érosion silencieuse de la décision nationale, qui se produit par étapes, avec la complicité de régimes qui voient dans leurs populations un fardeau et dans le silence une vertu. Et c’est précisément ce qui rend cet accord dangereux : non pas parce qu’il est bruyant, mais parce qu’il passe inaperçu.

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