
ALDAR/ Imane Alaoui
Depuis qu’il a pris la tête de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), Abdellatif Hammouchi a associé son nom à un vaste chantier de réformes visant à moderniser l’appareil policier et à rompre avec l’image d’une institution davantage marquée par la répression que par le service public. Cette volonté s’est traduite par la création d’une direction de la communication ouverte aux médias et à l’opinion publique, par l’organisation annuelle de journées « portes ouvertes » destinées à rapprocher les citoyens de leur police, ainsi que par des conférences sur la gouvernance sécuritaire, le renforcement des formations et une ouverture accrue sur la société civile.
Mais ces efforts se sont rapidement retrouvés à l’épreuve des protestations de la Génération Z, qui agitent aujourd’hui de grandes villes comme Rabat, Casablanca, Tanger, Fès ou Oujda. Des milliers de jeunes sont descendus dans la rue lors de marches spontanées, brandissant des slogans contre la faiblesse des services publics et la rareté des opportunités d’emploi, tout en défiant le contrôle grâce aux plateformes numériques, moteur principal de cette contestation. La réaction des forces de l’ordre est restée contrastée : dans certains cas, on a observé une volonté de dialogue et d’apaisement, tandis que dans d’autres, des ONG locales et internationales ont dénoncé un « usage excessif de la force », incluant interventions musclées et arrestations massives.
Le paradoxe est flagrant : alors que la DGSN cherche à transformer son image à travers une « vitrine d’ouverture » et des initiatives institutionnelles, l’expérience du terrain montre que la mutation des mentalités reste inachevée. Car la Génération Z n’aspire pas simplement à une police plus souriante, mais à une institution qui respecte pleinement la liberté d’expression et le droit à manifester, des valeurs que ce public juge non négociables.
Par ailleurs, les rapports d’organisations de défense des droits humains soulignent un autre déficit : l’absence de mécanismes clairs de reddition des comptes en cas de dérapages. Certes, la DGSN a annoncé à plusieurs reprises la suspension ou la poursuite de policiers pour comportements illégaux, mais ces mesures demeurent exceptionnelles et ne suffisent pas à témoigner d’une transformation profonde de la culture policière.
Les réseaux sociaux, eux, jouent un rôle déterminant en exposant immédiatement au grand jour tout recours excessif à la force, diffusant en quelques secondes des images capables de ternir la réputation de l’appareil sécuritaire à l’échelle mondiale.
Cette réalité pose un défi crucial : soit la philosophie policière intègre pleinement cette dimension numérique, soit les réformes risquent de rester au stade du discours officiel, sans toucher au cœur des pratiques.
Aujourd’hui, on peut dire qu’Hammouchi a réussi à remodeler l’image institutionnelle et médiatique de la sûreté nationale. Mais la bataille décisive – celle du changement des mentalités, véritable colonne vertébrale d’une réforme authentique – reste à mener. Entre la pression de la rue et le regard de la communauté internationale, une question persiste : la police marocaine saura-t-elle passer d’une logique de « contrôle » à une philosophie de « sécurité citoyenne », où elle serait perçue comme un service public et non comme une autorité répressive ?