Dans une interview accordée à la MAP, le président de la commission Afrique à la Confédération générale des entreprises au Maroc (CGEM), Abdou Diop, aborde les perspectives du développement des entreprises marocaines en Afrique, les modèles économiques à adopter, et les contraintes et opportunités qui se présentent.
Il expose également les différents secteurs porteurs dans lesquels le Maroc est susceptible d’investir en Afrique et l’apport de l’entrée en vigueur en janvier de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) dans l’implantation des entreprises marocaines en Afrique.
1. Quelles sont les perspectives du développement des entreprises marocaines en Afrique et quels modèles économiques à adopter ?
Les entreprises marocaines ont construit depuis une vingtaine d’années, des relations économiques très porteuses avec les différents pays du continent. Ces relations se sont consolidées au fil des années en adoptant une approche pragmatique, prudente et progressive.
Ainsi, elles ont débuté avec des exportations/importations dans une approche de commerce et avec les pays les plus proches sur le plan géographique et culturel, à savoir le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest et du centre.
La seconde étape a porté sur le commerce, l’investissement, toujours dans cette zone de proximité dans les secteurs des services : Aérien, télécommunications et numérique, services financiers, etc.
Progressivement le secteur immobilier et celui du BTP ont emboîté le pas suivi des secteurs agricoles et agro-alimentaires, permettant ainsi au Maroc de devenir le second investisseur en Afrique de l’Ouest et du Centre.
A partir de 2016, le Maroc s’est ouvert à de nouvelles régions du continent à l’occasion notamment des tournées royales et en particulier en Afrique de l’Est et en Afrique Australe.
Cette ouverture récente vers ces nouvelles régions qui constituent celles à plus fort potentiel sur le continent, donnent à nos entreprises de très belles perspectives de développement.
Avec en plus le lancement officiel depuis le 1er janvier 2021 de la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAF), le champ des possibles devient encore plus large.
2. Quelles sont les contraintes et les opportunités de l’implantation des entreprises marocaines en Afrique?
La croissance économique continue du continent qui attire depuis quelques années les investisseurs de tous horizons est la meilleure preuve de la vigueur et des opportunités importantes de l’Afrique.
Parallèlement, ce continent très large de plus de 54 pays a ses propres complexités qui dans certains cas pourraient être considérées comme des contraintes à adresser pour investir et en particulier pour les entreprises marocaines.
Nous avons la chance d’avoir construit un socle qui peut constituer un levier très favorable pour du développement en Afrique :
· La connectivité aérienne avec la Royal Air Maroc qui dessert l’essentiel des capitales Nord, ouest et du centre du continent.
· La connectivité terrestre à travers la route Tanger-Dakar permettant à partir de la Mauritanie de rallier le Mali, le Burkina-Faso, le Niger jusqu’en Côte d’Ivoire.
· La connectivité maritime à travers les ports de Tanger-Med, de Casablanca ou du futur port de Dakhla Atlantique. Pour rappel Tanger-Med a permis de réduire considérablement les temps de transit et les coûts de logistique avec les différents pays du continent.
· La connectivité économique et financière : Trois banques marocaines présentes dans 24 pays africains, l’AMMC, Casablanca Finance City et la Bourse de Casablanca, partenaires des principaux acteurs des marchés financiers et des places africaines. Par ailleurs, les entreprises marocaines sont présentes dans plus de 45 pays africains.
· Les relations politiques privilégiées.
· Les relations entre les peuples et en particulier avec l’Afrique de l’Ouest.
Ce positionnement favorable peut être un bon levier pour saisir les nombreuses opportunités qu’offrent le continent et notamment :
· Opportunités pour accéder à de nouveaux marchés;
· Opportunités pour s’approvisionner en intrants à des coûts permettant une meilleure compétitivité de nos industries;
· Opportunités pour investir dans des écosystèmes complémentaires à nos métiers mondiaux : Automobile, électricité et électronique, textile, agriculture et agroalimentaire, etc.
Dans cette dynamique la réussite passe par l’intégration et la réponse que nous apportons aux contraintes propres aux marchés africains :
· La taille du continent et le nombre important de pays;
· Les spécificités culturelles propres à chaque région, pays ou groupe ethnique dont la compréhension est cruciale;
· Les défis logistiques dans un continent où beaucoup de pays sont enclavés ou accusent des déficits infrastructurels importants;
· La particularité des modes et habitudes de consommations qui nécessitent d’intégrer de réelles capacités d’innovation sociale;
· La concurrence intra et extra africaine : le Maroc est bien placé sur l’échiquier africain comme étant un investisseur et un moteur de développement. D’autres pays ont également une stratégie de développement continental comme l’Egypte ou encore l’Afrique du Sud. La compétition vient aussi d’en dehors du continent avec la Turquie, la Chine, le Brésil et L’inde;
· Les coûts des facteurs liés à la faiblesse des infrastructures et notamment de l’énergie;
· Les barrières non tarifaires avec toutes les différences de règlementation entre pays.
3. Quels sont les secteurs porteurs dans lesquels le Maroc est susceptible d’investir en Afrique ?
Il faudrait voir les opportunités en Afrique sous un triple angle :
– Opportunités en termes de Commerce ;
– Potentiel pour l’approvisionnement en intrants et l’amélioration de notre compétitivité industrielle;
– Opportunités pour l’investissement dans les écosystèmes industriels complémentaires.
Sur le plan de l’investissement, tous les secteurs qui contribuent au développement économique, où le Maroc a fait ses preuves, sont des secteurs prioritaires pour plusieurs pays du continent : énergie, infrastructure, immobilier, tourisme, service, textile, etc.
La croissance démographique, l’émergence d’une classe moyenne et l’éclosion des grandes villes créent également des besoins essentiels dans le commerce de détail , les services digitaux et e-services, des télécoms et de l’électronique, l’industrie du loisir, le logement, l’assainissement, etc.
Par ailleurs, la crise sanitaire (Covid-19) a transformé les priorités de différents pays en mettant en exergue l’urgence de la souveraineté industrielle dans le domaine agro-alimentaire, médical et pharmaceutique.
4- Quel apport de l’entrée en vigueur en janvier de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) dans ce sens ?
En effet, la ZLECAF représente une réelle opportunité pour les entreprises marocaines. Ce marché commun de 1,2 milliard de personnes avec un PIB global de 2 500 milliards de dollars (Md$) représente un marché très important pour tout service ou toute industrie qui souhaite se développer sur le continent.
Ainsi, la ZLECAF permettra :
· De pouvoir exporter sur un marché qui devient ainsi continental;
· De trouver des intrants de toutes les régions africaines pour nos industries avec des droits de douane limités;
· De construire sur tout le continent des écosystèmes industriels complémentaires arrimés aux chaînes de valeur mondiales.
Afin de transformer ces perspectives favorables en réelles opportunités, les entreprises marocaines devront s’approprier les modèles les plus réussis sur le continent et qui se caractérisent par les fondamentaux suivants :
· La culture du partenariat local et du partage de savoir-faire ;
· Le positionnement dans les secteurs clés des plans de développement des pays pour contribuer à leur émergence ;
· La mise en avant et la promotion des ressources humaines et talents locaux ;
· La création de valeur ajoutée dans le pays ;
· La mise en œuvre d’actions et l’adoption d’attitudes de responsabilité sociale et sociétale.
Grâce à la ZLECAF, un nouveau paradigme se crée sur le continent :
· Ouverture des marchés économiques et ainsi plus de collaboration interafricaine;
· Suppression des droits de douane de 90% sur une période de 5 à 15 ans (en fonction du niveau de développement au Pays);
· La création de chaines de valeur industrielles commune.