
Par : Heribert-Lapierre Essy Ahoufi
Dans cet article analytique, l’auteur explore les leçons tirées du modèle de développement chinois et de la coopération sino-africaine, en proposant six axes principaux susceptibles de stimuler le développement du continent africain. Il aborde la souveraineté du modèle, l’ouverture organisée, l’application du principe de mérite, la prudence face aux thérapies de choc économiques, la diversité des entreprises et l’importance du leadership pour construire une communauté d’avenir partagée. L’article appelle l’Afrique à adopter une voie de modernisation propre, inspirée des réussites chinoises et du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC).
Dans un article publié en 1973, Alain Perfit prédisait que « si la Chine se réveille… le monde tremblera ». Aujourd’hui, après trente ans de réformes et d’ouverture, cette prédiction s’est réalisée de manière spectaculaire. Autrefois un pays agricole, la Chine a émergé comme une puissance mondiale. Contrairement à la pensée occidentale qui associe grandeur et domination, la modernisation chinoise a émerveillé le monde. Parallèlement, fidèle aux principes adoptés lors de la Conférence de Bandung il y a 70 ans, la Chine n’a pas tourné le dos aux pays en développement, mais a renforcé ses relations avec l’Afrique depuis 2000 à travers le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), dont le dernier sommet s’est tenu à Pékin en septembre 2024.
Si l’Afrique, qui abrite le plus grand nombre de pays en développement, cherche à tirer pleinement parti de sa relation privilégiée avec la Chine, la plus grande nation en développement au monde, comment peut-elle construire sa propre voie de développement ? Fort de mon expérience personnelle avec la République populaire de Chine, comprenant six visites d’études à Pékin, je propose six axes susceptibles d’aider l’Afrique à réaliser le développement tant attendu.
1. Souveraineté dans le modèle de développement
La modernisation chinoise repose sur l’idée que la Chine a choisi sa voie de développement de manière totalement indépendante. Elle n’a pas succombé aux conflits ou pressions extérieures, ce qui lui a permis de prendre des décisions importantes, telles que la rupture avec l’ex-Union soviétique, même en assumant de lourdes dettes. Cette indépendance dans la prise de décision a conduit la Chine à refuser une offre américaine de domination partagée. En revanche, la plupart des pays africains des années 1990 ont dû adhérer à l’« Accord de Washington », qui renforçait des programmes de réformes structurelles ayant échoué. Ainsi, les pays africains doivent réfléchir à la manière de s’inspirer du modèle chinois, en l’adaptant aux spécificités du continent, pour construire leur propre voie.
2. Ouverture organisée comme outil de réforme
La modernisation chinoise repose sur l’idée que l’ouverture est un outil essentiel de la réforme. La Chine a appliqué une ouverture progressive de ses marchés locaux pour encourager la concurrence et améliorer l’efficacité des entreprises, ce qui a contribué à une croissance économique remarquable, notamment à travers l’initiative bien connue de la « Ceinture et la Route ». Les pays africains peuvent adopter ce modèle pour réaliser des réformes économiques progressives et équilibrées.
3. Application du principe de mérite dans la gestion
Comprendre la modernisation chinoise implique de comprendre le principe de « mérite » qui contribue à former des cadres administratifs compétents. La Chine repose sur le système « Gaokao », un examen national que les étudiants doivent passer pour entrer à l’université et accéder à des postes administratifs. Cette méthode a contribué à améliorer la qualité de l’administration publique. Les pays africains peuvent tirer parti de ce système pour développer des leaders compétents dans divers domaines.
4. Prudence face aux thérapies de choc économiques
En matière de modernisation, il est essentiel de souligner que la Chine a rejeté l’application des « thérapies de choc » adoptées par de nombreux pays occidentaux. Malgré les pressions, la Chine a maintenu une application progressive des réformes du marché, ce qui l’a aidée à éviter les grandes crises économiques dont ont souffert d’autres pays. Tirer parti de cette expérience peut aider les pays africains à éviter des réformes rapides susceptibles d’entraîner des résultats contraires.
5. Diversité des entreprises comme facteur de stabilité
L’économie chinoise repose sur la diversité des entreprises, allant des entreprises publiques aux entreprises privées, familiales et conjointes. Ce modèle garantit un équilibre économique et contribue à la stabilité du marché. Les pays africains doivent réfléchir à la manière d’intégrer cette diversité dans leurs économies pour offrir un environnement plus flexible et stimulant pour la croissance.
6. Leadership pour construire une communauté d’avenir partagée
Enfin, la modernisation chinoise repose sur le concept de « communauté d’avenir partagé » promu par le président Xi Jinping. La Chine considère que le succès individuel ne peut être atteint que s’il y a une coopération collective. Ce concept s’harmonise avec les principes traditionnels mettant en avant l’importance de l’harmonie entre l’homme, la société et la nature. Ce modèle peut inspirer le continent africain dans le développement de sa propre vision.
Je suis convaincu que l’Afrique, en tant que « berceau de l’humanité », peut jouer un rôle clé dans le développement d’un modèle de développement aligné sur les tendances mondiales modernes, si elle renforce la coopération interne et tire parti des expériences internationales réussies.