Du Brexit, le port allemand de Cuxhaven a tout vécu intensément, du choc du référendum aux négociations interminables en passant par le stress des préparatifs. A quelques heures du divorce, son directeur n’a qu’un souhait: « que ça arrive, enfin ! ».
C’est pourtant un défi inédit qui attend cette plateforme de la Mer du nord lorsque l’Angleterre sortira, au 1er janvier, du marché unique et de l’Union douanière: 85% du fret maritime de Cuxhaven s’effectue avec ce pays, en faisant l’un des ports les plus exposés.
Depuis son bureau, le directeur du port, Hans-Peter Zint, peut mesurer l’ampleur de la tâche : des centaines de Mercedes et BMW sorties des usines allemandes sont prêtes à être chargées dans les soutes d’un navire tout juste arrivé du port anglais d’Immingham, sur la côte est du Royaume-Uni.
A peine accosté, le navire ouvre ses cales et décharge des Land Rover britanniques destinées au marché continental, mais aussi des pièces métalliques destinées à la construction ou encore des mobile-homes.
L’ensemble de l’opération va prendre quelques heures puis le bateau remettra le cap sur Immingham, à une vingtaine d’heures de navigation.
« Aujourd’hui nous n’avons aucune formalité douanière à effectuer et demain, ces procédures concerneront 85% de nos volumes, c’est une terre inconnue pour Cuxhaven », explique M. Zint à l’AFP. Les grands ports voisins, comme Hambourg, dépendent moins des clients anglais et ont davantage l’habitude du commerce hors UE.
– Tests et réalité –
Mais pour rien au monde, le manager ne voudrait reporter l’échéance plus longtemps : « depuis trois ans, c’est beaucoup de préparatifs. Donc vient le moment où on se dit +il faut que ça arrive, enfin !+ », confie-t-il, lassé du climat d’incertitude qui a prévalu depuis 2016.
Le secteur automobile allemand sera aux avants-postes des conséquences du Brexit : avec près de 600.000 véhicules livrés en 2019, l’Angleterre est son premier marché d’exportation.
Le Royaume-Uni était l’an dernier le septième partenaire commercial de l’Allemagne, en recul de deux places par rapport à 2015, avant le référendum.
Pour se préparer, Cuxhaven a revu son organisation dans trois domaines: formations régulières aux nouvelles procédures douanières pour les équipes ; système informatique repensé pour faciliter la transmission des documents aux douanes ; agrandissement du terminal et des zones de stockage pour les cas de tracasseries administratives liées aux nouvelles formalités.
« D’après nos simulations, si chaque maillon de la chaîne, du vendeur au client, fait bien son travail, les délais ne devraient pas s’allonger », poursuit le directeur.
« Mais ça reste des tests, admet-il, et nous voudrions maintenant voir si tout fonctionne dans la réalité ».
– Tourner la page –
Sur les quais du port situé à l’embouchure de l’Elbe, le va et vient des poids-lourds est incessant.
Après le plongeon de l’activité au printemps, pour cause de pandémie, l’Allemagne et l’Angleterre ont mis les bouchées doubles pour acheminer le plus de marchandises avant la fin de la période de transition.
« Ce fut une drôle d’année », soupire Marcus Braue, responsable local de la compagnie maritime danoise DFDS, qui opère les deux liaisons quotidiennes entre Cuxhaven et Immingham.
« La plupart des entreprises se sont bien préparées, mais quelques-unes, pour lesquelles le marché britannique n’est pas central, commencent seulement à se préoccuper des futures formalités », expliquait-il début décembre.
L’accord commercial trouvé in extremis le 24 décembre entre l’UE et le Royaume-Uni permet d’éviter le pire : un « Brexit dur » avec imposition de droits de douanes qui auraient renchéri le prix des marchandises convoyées via Cuxhaven, risquant de faire chuter l’activité commerciale.
Reste la menace du chaos administratif et des bouchons.
A cet égard, Cuxhaven estime disposer d’un atout par rapport aux géants maritimes comme Hambourg, Calais ou Rotterdam : « chez nous, seules les cargaisons sont expédiées, le routier ne les accompagne pas. Si demain, on se trouve face à un document douanier incorrect ou manquant, le chargement peut être mis en attente sans bloquer le chauffeur », explique Hans-Peter Zint.
Le port allemand espère ainsi gagner de nouveaux clients à la recherche de routes moins engorgées, et parie que « dans trois ou cinq ans, le Brexit sera digéré, ce sera de l’histoire ancienne ».