A LA UNEMaroc

Les lobbies de la publicité au Maroc : quand l’argent et l’influence confisquent la voix des médias, sous le regard silencieux de l’État

Par Imane Alaoui/ ALDAR

Au Maroc, le secteur de la publicité se transforme, jour après jour, en un univers opaque et verrouillé, dominé par les réseaux d’influence et les intérêts croisés, alors que l’État – et en particulier le ministère de la Culture, de la Jeunesse et de la Communication – semble s’être désengagé de toute responsabilité dans la régulation de ce domaine vital pour la survie des entreprises médiatiques nationales.

Aujourd’hui, le marché publicitaire marocain n’obéit plus aux règles de la profession ni à une logique économique transparente. Il fonctionne plutôt selon des critères de loyauté, d’allégeances et de connexions personnelles. Les budgets publicitaires colossaux des entreprises publiques, des opérateurs télécoms et des banques ne profitent plus aux journaux indépendants ou aux médias sérieux, mais sont dirigés, selon des circuits bien établis, vers certains organes précis — souvent dépourvus d’audience réelle ou d’impact notable, mais riches d’un capital relationnel bien placé.

Certaines grandes agences de publicité, notamment celles qui travaillent avec des institutions publiques ou des sociétés semi-gouvernementales, sont accusées de contrôler la carte publicitaire du pays à travers un réseau d’intermédiaires et de proches. Détenant le monopole des contrats avec les plus gros annonceurs, ces agences sont devenues une véritable puissance au-dessus des médias : elles attribuent les campagnes à qui elles veulent et les retirent à qui elles veulent, sans critères professionnels ni transparence financière.

Pendant ce temps, le ministère de la Culture et de la Communication garde un silence troublant. Comment expliquer qu’un secteur pesant plusieurs milliards de dirhams reste sans politique publique claire, sans mécanisme équitable de répartition de la publicité institutionnelle ? Comment justifier que les annonces publiques soient distribuées dans l’opacité la plus totale, alors que des dizaines de rédactions ferment leurs portes, étranglées par le manque de soutien et la discrimination économique ?

Les journaux sérieux et les sites d’information indépendants paient le prix fort : exclus des plans publicitaires, souvent sanctionnés pour des raisons dérisoires. À l’inverse, les médias qui relaient le discours officiel ou se contentent de contenus légers et divertissants sont généreusement arrosés de contrats publicitaires. Ainsi, la publicité devient un instrument politique subtil : non plus un moyen de soutenir la presse, mais une arme pour l’acheter, pour dompter les voix critiques et neutraliser toute indépendance éditoriale.

Les lobbies de la publicité au Maroc ne sont pas de simples entreprises privées. Ils forment un système complexe où s’entremêlent intérêts économiques, réseaux médiatiques et anciens responsables publics reconvertis dans un secteur devenu pour eux une source de pouvoir et d’enrichissement assurée. Ces acteurs n’ont aucun intérêt à la réforme : le désordre les sert, la transparence les menace.

Laisser ce marché entre leurs mains met en péril l’avenir même de la liberté de la presse au Maroc. Car il ne peut y avoir de média libre sans autonomie financière, et pas d’autonomie financière dans un environnement où les contrats publicitaires sont distribués selon les amitiés et les faveurs.

Le vrai changement passe par une volonté politique ferme : imposer aux entreprises publiques et aux grands groupes privés des règles claires et équitables de distribution de la publicité, briser les monopoles des grandes agences et instaurer une autorité indépendante chargée de superviser le secteur, de garantir la transparence et de prévenir les conflits d’intérêts entre annonceurs et éditeurs.

Il est temps que l’État prenne conscience que son silence ne peut plus être perçu comme de la neutralité. Il est désormais interprété comme un abandon délibéré d’un champ stratégique à ceux qui façonnent la carte médiatique selon leurs propres intérêts. La publicité n’est pas un simple outil commercial : c’est un levier d’influence politique et économique. Et celui qui en détient les clés détient, au fond, le pouvoir de modeler l’opinion publique.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page