Le tribunal de Constantine en Algérie a condamné mardi à deux ans de prison ferme le chercheur algéro-canadien Raouf Farrah et le journaliste algérien Mustapha Bendjama, incarcérés depuis plus de six mois, a annoncé à l’AFP l’avocat de M. Farrah.
« Ils ont été condamnés tous les deux à deux ans de prison ferme », a déclaré Me Kouceila Zerguine, alors qu’il se trouvait encore dans ce tribunal de l’est du pays. Le parquet avait requis la semaine dernière trois de prison ferme à leur encontre.
Raouf Farrah, 36 ans, et Mustapha Bendjama, 32 ans, ont été jugés coupables de « publication d’informations et de documents dont le contenu est classé partiellement ou intégralement secret, sur un réseau électronique ou d’autres moyens technologiques de médias ».
M. Farrah a également été condamné pour « réception de fonds d’institutions étrangères ou intérieures dans l’intention de commettre des actes qui pourraient porter atteinte à l’ordre public », selon son avocat.
Pour ce même motif, son père Sebti, 67 ans, s’est vu infliger une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et une amende. Me Zerguine a déjà annoncé qu’il va faire appel de ces condamnations.
Selon plusieurs avocats et médias, l’affaire a démarré lorsque les services de sécurité algériens ont eu accès au téléphone de Mustapha Bendjama après son arrestation le 8 février au sein du journal privé francophone Le Provincial, basé à Annaba (est), dont il est le rédacteur en chef.
Il a été interpellé sur le soupçon d’avoir aidé la militante politique franco-algérienne Amira Bouraoui à quitter l’Algérie via la Tunisie deux jours plus tôt, alors qu’elle était interdite de sortie.
L’affaire Bouraoui, qualifiée d' »exfiltration illégale » par le gouvernement algérien, avait provoqué une brouille diplomatique avec la France, qui s’est résolue récemment.
L’analyse du téléphone du journaliste a montré des contacts entre MM. Bendjama, Farrah, d’autres personnes et l’ONG anti-corruption Global Integrity Index (GII).
Devant le juge, Mustapha Bendjama a expliqué avoir compilé, pour le compte de GII, « un rapport déclinant 54 indicateurs socio-économiques en contrepartie de 1.500 dollars ».
Le dossier d’accusation se base sur des discussions via l’application WhatsApp entre M. Bendjama et un responsable de GII, d’après ces mêmes sources.
Selon plusieurs médias, les enquêteurs auraient confondu le terme « indicateur » économique avec celui utilisé par la police pour les personnes leur fournissant des informations.
La rédaction du rapport avait d’abord été proposée à Raouf Farrah mais il a décliné et l’a confiée à son ami Mustapha Bendjama.
Ce dernier n’ayant pas de compte en devises et faisant l’objet d’une interdiction de sortie du territoire dans le cadre d’autres poursuites, l’argent a été versé sur le compte de M. Farrah lequel a fait remettre les 1.500 dollars convertis en dinars à M. Bendjama.
Celui-ci a reconnu avoir enfreint la réglementation des changes algérienne sur les mouvements de fonds avec l’étranger.
Chercheur-analyste de l’organisation Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC), Raouf Farrah avait été arrêté le 14 février chez ses parents à Annaba.
GI-TOC a mis sur son site sa photo et un décompte des jours et heures depuis qu’il est emprisonné. L’organisation mène une campagne internationale pour la libération du chercheur, marié à une Canadienne et père d’une petite fille de quatre ans.
Mustapha Bendjama était l’un des acteurs phares à Annaba du mouvement de protestation prodémocratie du Hirak en 2019.
Le procès à son encontre et à celle d’autres personnes dans l’affaire Bouraoui se tiendra séparément, à une date encore non fixée.
Plusieurs journalistes et militants sont en prison en Algérie.
Le 18 juin, la Cour d’appel d’Alger a alourdi à sept ans de prison, dont cinq ans ferme, une condamnation du patron de presse Ihsane El Kadi pour financement étranger de son entreprise Interface médias, propriétaire de Radio M et du site d’information Maghreb Emergent.
L’Algérie a régressé de deux rangs à la 136e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières (RSF) en 2023.
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