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Le Point a réalisé un entretien complet avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, en marge de la visite officielle du président français Emmanuel Macron au Maroc. La discussion a porté sur les enjeux actuels, le dossier du Sahara marocain, la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur ses régions du sud, ainsi que sur la période historique des relations maroco-françaises, et la position du Maroc sur la Palestine et ses relations avec Israël. Le ministre Bourita a présenté les enjeux liés à la visite d’État du président Macron au royaume après trois années de turbulences diplomatiques. Le Point a confirmé que le dialogue approfondi avec Nasser Bourita a duré 45 minutes et n’a esquivé aucune question. Voici le texte complet de l’entretien traduit en français :
Comment évaluez-vous l’état actuel des relations diplomatiques entre le Maroc et la France, que beaucoup considèrent déjà comme « historiques » ?
Cette visite représente le début d’un nouveau chapitre dans les relations entre le Maroc et la France, comme l’ont souligné Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le président français Emmanuel Macron. Elle ouvre une page officielle marquée par la signature d’une déclaration significative concernant le « partenariat exceptionnel ». Ce document reflète une ambition renouvelée pour la coopération bilatérale, fondée sur des principes d’égalité entre les États, de transparence, de solidarité et de responsabilité partagée. Il définit également les domaines prioritaires de coopération, tels que les énergies renouvelables et la modernisation des infrastructures ferroviaires et portuaires, qui devraient servir de base à une relation plus riche et mutuellement bénéfique.
Ce partenariat est également régi par ce qui a été établi dans la déclaration : il sera supervisé directement par les deux chefs d’État, sous la surveillance d’un comité chargé de concevoir des moyens innovants pour tirer parti des opportunités d’améliorer cette relation à long terme.
Les accords signés en présence du roi et du président français lancent une nouvelle génération d’engagements, reflétant une vision commune. Ce partenariat repose sur une approche de coopération réelle, qui est « la coopération avec le Maroc », fondée sur un travail commun tout en reconnaissant la véritable valeur des entreprises marocaines. Des partenariats phares, tels que la ligne de train à grande vitesse et l’hydrogène vert…
L’initiative d’autonomie marocaine est passée d’une « base sérieuse » il y a quinze ans à « la seule base » aujourd’hui pour Paris. Quelle dynamique régionale espérez-vous promouvoir grâce à ce soutien ?
L’essence de la position française est son point de départ : le présent et l’avenir du Sahara sont liés au cadre de la souveraineté marocaine, comme l’a exprimé la lettre du président français à Sa Majesté le Roi le 30 juillet dernier. En d’autres termes, la France affirme que le Sahara ne peut être considéré isolément de cette souveraineté. En ce qui concerne la résolution de ce conflit régional, Paris estime que le plan d’autonomie proposé en 2007 est la seule base réaliste et réalisable pour une solution politique.
Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour progresser : l’initiative d’autonomie bénéficie du soutien de plus de 112 pays dans le monde, dont plus de vingt pays des Amériques, parmi lesquels les États-Unis, et près des trois quarts des pays africains et des États membres de l’UE. Cette dynamique internationale s’étend à tous les continents et toutes les régions.
Cependant, un élément clé manque : une partie responsable pour faire avancer la situation. L’acteur réel de ce conflit régional préfère le statu quo. Cette stagnation affecte la sécurité de la région et constitue un fardeau pour le Maghreb, le Sahel, les rives de la Méditerranée, et surtout pour les peuples du Maroc et de l’Algérie.
Comment l’évolution de la position française sur le dossier du Sahara pourrait-elle influencer la prochaine décision des Nations Unies ?
La position française s’aligne sur une dynamique globale initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI il y a des années, caractérisée par de nombreuses reconnaissances explicites de la souveraineté marocaine sur le Sahara, à travers l’ouverture d’une trentaine de consulats à Laâyoune et Dakhla, et le soutien accru au plan d’autonomie comme solution à ce conflit régional.
Au sein de l’Union européenne, environ 20 des 27 États membres soutiennent également cette initiative. La position française est significative : elle émane d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, mais aussi d’un pays qui connaît les réalités de cette région et est considéré comme un acteur influent au sein de l’UE.
De plus, le projet de résolution du Conseil de sécurité est présenté par les États-Unis en tant que principal rédacteur, et la France souhaite travailler pour ce positionnement au sein des institutions multilatérales. Paris a déjà joué un rôle actif dans l’élaboration et la discussion de la résolution, qui sera adoptée cette semaine, et nous verrons si de nouveaux éléments apparaissent.
Dans le cadre de vos relations avec la France, quelles mesures envisagez-vous pour faciliter le retour des citoyens marocains en situation irrégulière ?
Aujourd’hui, nous cherchons à accélérer la délivrance des permis de transit en coordination avec les autorités françaises, afin d’assurer une identification rapide et de faciliter le retour des migrants irréguliers. Conformément aux directives des hautes autorités marocaines, les consulats ont reçu l’instruction de collaborer étroitement avec les services de police et d’améliorer ce processus.
Avec une communauté intégrée de millions de Marocains, y compris une majorité d’étudiants et de professionnels en France, le Maroc est soucieux de maintenir cette image positive. Le président français a salué le succès des Marocains en France dans divers domaines. Cependant, il n’a jamais été question d’imposer des conditions : les personnes en situation irrégulière identifiées comme Marocains seront rapatriées sans délai, dans un esprit de responsabilité partagée et d’engagement mutuel.
Comment Paris et Rabat envisagent-elles de traiter les défis migratoires en Méditerranée dans le cadre de leur partenariat renouvelé ?
La question de la migration ne peut pas être résolue simplement en désignant les pays de transit, d’origine ou de destination comme seuls responsables. Le concept de responsabilité partagée est au cœur de la vision royale : le progrès ne pourra se faire que par une véritable coordination et un engagement mutuel entre les différentes parties.
Prenons l’exemple des mineurs non accompagnés. En 2018, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a donné des instructions pour identifier les enfants ayant une famille ou pouvant être accueillis dans des centres au Maroc. En juin de la même année, une mission a été envoyée en France pour procéder à l’identification ; après quatre mois, il a été constaté que les deux tiers des 717 mineurs interrogés n’étaient pas d’origine marocaine. Cependant, même lorsque le Maroc a voulu rapatrier ceux d’origine marocaine, le processus a rencontré des restrictions imposées par le juge des enfants, qui interdit le transfert des mineurs jusqu’à ce qu’ils atteignent la majorité. Cette faille, exploitée par des réseaux de trafic humain, permet aux mineurs non expulsables de circuler librement en Europe.
Pour renforcer la coopération, une délégation de juges français a été invitée en octobre 2018 à visiter des centres de protection de l’enfance. Suite à la visite des juges français, un plan d’action a été adopté pour organiser le retour des mineurs non accompagnés, dans le cadre de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc.
Étant donné l’importance des relations entre la France et l’Algérie, quelles mesures attendez-vous de Paris pour réaliser un meilleur équilibre dans ses liens avec le Maghreb ?
Le Maroc ne s’immisce pas dans les relations que d’autres pays entretiennent avec l’Algérie. Nous nous concentrons exclusivement sur nos relations bilatérales avec nos partenaires, laissant à chaque pays la liberté de développer les liens qu’il souhaite avec l’Algérie. Cette position est une doctrine claire et cohérente de Sa Majesté le Roi. Si l’Algérie considère que le renforcement de nos relations avec certains pays constitue une menace, cela relève de son interprétation. Pour nous, nous ne pouvons pas lier nos relations avec un État à ses relations avec un autre État. Notre priorité est de renforcer nos relations en accord avec nos propres intérêts.
Dans le cadre de l’initiative atlantique, comment le Maroc prévoit-il de coopérer avec la France dans le Sahel tout en maintenant ses relations avec les pays de la région ?
Dans son approche africaine, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a toujours rejeté la vision du Sahel comme un fatalisme. C’est pourquoi il a visité le Mali quatre fois depuis 2012, investi massivement dans la formation de plus de 500 imams à l’Institut Mohammed VI de formation des imams, et lancé de nombreux projets de développement, en plus de la présence marocaine dans le secteur bancaire et économique.
Dans ce contexte, l’initiative royale a été lancée, offrant aux pays du Sahel un accès aux ports marocains, aux zones de stockage, à l’infrastructure logistique, à la fibre optique, et en les soutenant dans les procédures douanières.