La décision du gouvernement français d’interdire l’abaya dans les établissements scolaires met en lumière les divisions de l’opposition de gauche sur la laïcité : si certains saluent l’initiative, la gauche radicale annonce mardi son intention de la contester en justice.
Le ministre de l’Education Gabriel Attal (centre) a indiqué dimanche, à quelques jours de la rentrée des classes, vouloir proscrire en milieu scolaire ces longues robes de tradition moyen-orientale.
Approuvée par la droite et l’extrême droite françaises, la mesure est le nouveau symbole des frictions qui traversent la gauche, dont la coalition formée pour les élections législatives de 2022 a déjà été mise à mal cet été par la question d’une liste commune aux élections européennes de juin 2024.
De nombreux élus du Parti socialiste (PS) et du Parti communiste approuvent la décision au nom de la laïcité. Mais les écologistes condamnent une « stigmatisation », tandis que le parti de gauche radicale La France insoumise (LFI) dénonce une décision « islamophobe » et « cruelle ».
Son coordinateur, le député Manuel Bompard, a annoncé mardi son intention de saisir le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française, pour en contester la légalité.
Cette interdiction agite « les peurs et les fantasmes » et va « se traduire encore une fois par des discriminations à l’égard des jeunes femmes et en particulier des jeunes femmes de confession musulmane », a-t-il déclaré à la télévision publique.
« Les autorités religieuses du culte musulman disent que les abayas ne sont pas une tenue religieuse et donc (…) je ne vois pas pourquoi il faudrait l’interdire », a-t-il argumenté.
Pour lui, vouloir règlementer les tenues des femmes revient à ouvrir une « boîte de Pandore ».
Lundi, l’ex-candidat LFI à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon avait déjà dénoncé « une nouvelle absurde guerre de religion entièrement artificielle à propos d’un habit féminin ».
« Il y a un risque, à travers les mots qu’ils utilisent là, à remettre en question la loi de 2004, et ça, ce serait désastreux », a averti le député socialiste Jérôme Guedj à propos de LFI et des écologistes.
Fruit de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église catholique et de l’État, la conception française de la laïcité cantonne la religion à la sphère privée.
Selon la loi du 15 mars 2004, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
En novembre 2022, une circulaire a précisé qu’étaient concernés les tenues qui manifestent « par leur nature même, une appartenance religieuse », mais aussi ceux qui « peuvent le devenir » en raison « du comportement de l’élève ».
Le texte de 2004 avait permis « d’apaiser, de pacifier les situations », a estimé Jérôme Guedj, attaché à l’école comme « un espace de neutralité, de construction du libre-arbitre et du jugement pour émanciper les jeunes en formation ».
La secrétaire générale du syndicat CGT Sophie Binet a tenté une position d’équilibre en insistant sur le besoin de « règles claires pour les équipes éducatives ». « Dès lors que (l’abaya) c’est considéré comme un signe religieux, évidemment qu’il faut l’interdire, comme les autres, mais le problème de faire sa rentrée politique sur le sujet (comme l’a fait Gabriel Attal, NDLR), c’est que ça instrumentalise le phénomène », a-t-elle argumenté.
« Plus on stigmatise une religion, plus on insiste sur tel ou tel signe religieux, plus on assiste à l’augmentation du phénomène », a-t-elle averti.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a estimé en juin que l’abaya « n'(était) pas » un signe religieux musulman. « C’est une forme de mode », a abondé dimanche Abdallah Zekri, vice-président de cette institution.
Mais pour Iannis Roder, directeur de l’observatoire de l’Education à la Fondation Jean Jaurès, think-tank classé à gauche, « l’abaya est un vêtement qui répond à des injonctions religieuses. Et le porter c’est marquer une appartenance, notamment communautaire ».
Selon une note des services de l’Etat, le port de signes et de tenues portant atteinte à la laïcité à l’école a plus que doublé entre l’année scolaire 2021-2022 et 2022-2023.
Pour Iannis Roder, « le phénomène est circonscrit à certains établissements et quartiers mais l’abaya étant devenue par le fait des réseaux sociaux un objet viral, il a essaimé ».
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