
ALDAR/ Imane Alaoui
La carte mondiale des menaces sécuritaires évolue à grande vitesse, mais une constante demeure dans les rapports des services de renseignement internationaux : l’Afrique est devenue l’épicentre le plus actif du jihadisme armé. C’est ce qu’a confirmé sans détour Nicolas Lerner, directeur de la DGSE, dans un entretien accordé au Figaro, où il décrit le continent comme « le nouveau centre mondial du jihad », marquant ainsi le basculement du foyer terroriste du Moyen-Orient vers la région sahélo-saharienne.
Selon l’analyse des services français, l’évolution la plus inquiétante réside dans la transformation structurelle des réseaux jihadistes. Il ne s’agit plus uniquement de groupes locaux opérant dans des zones fragilisées, mais de filières transnationales impliquant des combattants francophones issus du Maghreb, dont certains rejoignent désormais la Somalie afin de s’intégrer au mouvement Al-Shabaab affilié à Al-Qaïda. Une mutation qualifiée par plusieurs experts de « menace transcontinentale », puisqu’elle pourrait servir de pont stratégique vers l’Europe.
Au cœur de ce paysage instable, un acteur émerge comme incontournable : le Maroc. Lerner insiste sur le caractère déterminant de la coopération avec Rabat pour la sécurité française et européenne, rappelant la redoutable efficacité des services marocains dans le démantèlement de cellules terroristes et la surveillance des combattants mobiles. Une expertise accumulée depuis les attentats de Casablanca en 2003, devenue aujourd’hui une référence internationale.
Mais le rôle du Maroc ne se limite plus aux échanges de renseignements. Selon plusieurs rapports stratégiques européens et africains, dont des analyses émiraties, espagnoles et françaises, Rabat envisagerait d’élargir son implication à une dimension opérationnelle. L’une des pistes évoquées concerne la création d’une base ou d’un aérodrome militaire dans l’extrême sud du pays afin de permettre — à terme — le déploiement de drones et d’avions de chasse contre les groupes armés dans le Sahel. Une évolution qui marquerait un tournant doctrinal majeur : passer de la neutralisation de la menace à la poursuite de la menace à sa source.
Ce regain d’intérêt international pour le rôle marocain intervient alors même que plusieurs puissances, dont la France, se retirent de zones de coopération sécuritaire en Afrique. Pour Paris, Rabat apparaît désormais comme une pièce maîtresse d’un système régional en pleine recomposition.
En parallèle de son action sécuritaire, le Maroc a développé une politique complémentaire fondée sur la modération religieuse, à travers la formation d’imams issus de pays africains. Une approche qualifiée dans les rapports internationaux de « lutte préventive contre l’extrémisme », visant à s’attaquer aux racines idéologiques du terrorisme plutôt qu’à ses seules manifestations armées.
Cependant, ce rôle grandissant comporte des défis. Engager des opérations militaires extérieures ne relève pas d’une décision ordinaire et pourrait provoquer des tensions régionales. De plus, la lutte contre le terrorisme en Afrique ne peut reposer sur un acteur isolé : elle exige une coordination internationale durable, en raison de l’expansion des circuits de financement clandestins, souvent liés au crime organisé et aux réseaux migratoires.
Les propos du directeur du renseignement français révèlent une réalité stratégique : le Maroc n’est plus simplement un État qui lutte contre le terrorisme dans ses frontières, mais un acteur central dans l’architecture sécuritaire euro-africaine. Un gardien silencieux, méthodique et constant, dont l’influence semble appelée à croître au moment même où d’autres quittent le champ.




