Les communications sont coupées mardi à Derna, ville de l’Est de la Libye dévastée par des inondations meurtrières, au lendemain d’une manifestation d’habitants réclamant des comptes aux autorités qu’ils mettent en cause dans la catastrophe.
Le réseau cellulaire et d’internet est hors service depuis mardi matin, selon des sources locales. L’AFP n’a pas été en mesure de joindre par téléphone ou messagerie ses journalistes présents dans la ville.
Cet événement survient au lendemain d’une manifestation d’habitants de Derna réclamant des comptes aux autorités de l’Est du pays qu’ils tiennent pour responsables de la catastrophe qui a fait des milliers de morts et de disparus après le passage de la tempête Daniel le 10 septembre et la rupture de deux barrages en amont de la ville.
La coupure a été causée par « une rupture des fibres optiques dans la ville de Derna », a indiqué sur son compte Facebook la compagnie nationale des télécommunications (Lptic).
Selon elle, cette panne qui affecte aussi d’autres localités dans l’Est de la Libye, « pourrait être le résultat d’un acte de sabotage délibéré. Nos équipes s’efforcent de la réparer le plus rapidement possible », a ajouté la compagnie.
Rassemblés devant la grande mosquée de la ville, des centaines d’habitants ont scandé des slogans contre les autorités de l’Est incarnées par le Parlement et son chef, Aguila Saleh.
« Le peuple veut la chute du Parlement », « Aguila (Saleh) est l’ennemi de Dieu », ou encore « ceux qui ont volé ou trahi doivent être pendus », « Libye, ni Est ni Ouest, unité nationale », ont-ils scandé.
Plusieurs manifestants ont brûlé la maison du maire honni de la ville, Abdulmonem al-Ghaithi, selon des images largement partagées sur les réseaux sociaux et par des médias libyens.
Quelques heures après la manifestation, le chef de l’exécutif dans l’Est de la Libye, Oussama Hamad, a dissous le conseil municipal de Derna, contre lequel il a ordonné l’ouverture d’une enquête.
Selon des politiciens et des analystes, le chaos en Libye a relégué au second plan l’entretien d’infrastructures vitales comme les barrages de Derna dont l’effondrement a provoqué des inondations qui ont fait 3.338 morts, selon le dernier bilan officiel provisoire communiqué lundi soir par le ministre de la Santé de l’est, Othman Abdeljalil.
Rongée par les divisions depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est en effet gouvernée par deux administrations rivales: l’une à Tripoli (ouest), reconnue par l’ONU et dirigée par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, l’autre dans l’Est, incarnée par le Parlement et affilié au camp du puissant maréchal Khalifa Haftar.
Les forces de Haftar s’étaient emparées en 2018 de Derna, alors bastion des islamistes radicaux, et seule ville de l’Est qui échappait à son contrôle. Mais les autorités de l’Est entretiennent des relations de méfiance avec Derna, considérée comme une ville contestataire depuis l’époque de Kadhafi.
La rupture de deux barrages a provoqué une crue de l’ampleur d’un tsunami le long de l’oued qui traverse Derna, ville de 100.000 habitants bordant la Méditerranée.
« Il y a deux ans, il y avait déjà eu des fuites sur le grand barrage alors qu’il n’était rempli qu’à moitié. On avait prévenu la municipalité et réclamé des réparations », a raconté à l’AFP Abdelqader al-Omrani depuis son lit d’hôpital à Benghazi, la grande ville de l’Est. Les responsables coupables de négligence « ont nos morts sur la conscience », a-t-il dit.
« Blocage médiatique sur #Derna en place maintenant, les communications coupées depuis l’aube. N’en doutez pas, il ne s’agit pas de santé ou de sécurité, mais de punir les manifestants de Derna », a affirmé sur X (ex-Twitter) Emadeddin Badi, spécialiste de la Libye à l’Atlantic Council.
« Des nouvelles extrêmement sombres de #Derna, encore sous le choc des inondations horribles. Les habitants sont désormais terrifiés par une répression militaire imminente, considérée comme une punition collective pour la manifestation et les demandes d’hier », a pour sa part affirme Tarek Megrisi, expert Maghreb au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), également sur X.
Des secouristes s’activent toujours mardi à Derna pour retrouver les corps de milliers de disparus présumés morts dans les inondations, selon des médias locaux.
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